Fonds européens 2021-2027

« L’Accord de partenariat repose sur une communauté de vue État-Régions »

Portraits serrés de Jules Nyssen et Ph. Cichowlaz, placés côte à côte.
DR Régions de France et ANCT

En France, les régions sont les autorités de gestion de la majorité des fonds européens, et l’ANCT en est la coordinatrice nationale. Un partenariat qui fonctionne « en bonne intelligence et en bonne complémentarité ». Explications avec Jules Nyssen, délégué général de Régions de France, et Philippe Cichowlaz, chef du pôle Politique de cohésion européenne, à l’ANCT.

L'Accord de partenariat définit les priorités 2021-2027

L’État et les Régions ont défini, de concert, leurs priorités nationales et locales pour la programmation des fonds UE sur la période 2021-2027. Un travail de plus de deux ans, formalisé à travers un Accord de partenariat. Il a été présenté, en décembre 2021, à la Commission européenne qui devrait le valider au printemps 2022.

⇒ La France a présenté ses priorités nationales à la Commission européenne, le 17 décembre 2021. Comment ont-elles été élaborées ?

Philippe Cichowlaz - ANCT :

Leur élaboration est le fruit d’un travail d’un peu plus de deux ans. Afin de recueillir leurs priorités pour les sept années à venir, elle s’est déroulée, d’une part, avec toutes les autorités de gestion des fonds européens : les Régions en ce qui concerne le Feder ; l’État et les Régions pour le FSE et le FEAMPA.

Et, d’autre part, à travers un certain nombre de diagnostics conduits sur les principales thématiques d’intervention des fonds. L’objectif est que la France soit capable de répondre aux priorités de la politique de cohésion européenne, en identifiant les points clés qui concernent plus particulièrement notre pays tout en respectant la grande diversité de nos territoires.

Tout ceci a fait l’objet d’échanges avec le Partenariat national, qui rassemble plus d’une centaine d’acteurs représentant les différentes priorités des politiques financées par l’Union européenne (collectivités territoriales, acteurs associatifs, fédérations professionnelles, etc.) Cela a permis de prendre en compte leurs préoccupations, sociales, environnementales, économiques, et de les intégrer dans le document, que la France a remis à la Commission européenne le 17 décembre dernier. C’est ce qu’on appelle « l’Accord de partenariat ».

⇒ Quelles ont été les étapes de ces engagements pris entre l’État et les Régions ?

Nous avons travaillé ensemble quatre versions de l’accord de partenariat. Elles ont fait l’objet de négociations successives et d’ajustements. La consolidation des enveloppes nationales a été validée en comité État-Régions, avec Régions de France et les représentants politiques de l’ensemble des Régions ainsi que les ministères concernés.

Nous avons travaillé de manière à trouver des consensus et de permettre aux programmes financés par l’Europe d’avancer.

Nous avons ensuite adressé le document à la Commission européenne. Elle a fait ses remarques, qu’on a intégrées et renégociées, jusqu’à l’envoi du document finalisé, fin 2021. Les retours viennent de nous parvenir et nous devons décider, prochainement, comment finaliser ce que l’on espère être une ultime version. Il y aura, en effet, sans doute quelques points à affiner avec nos partenaires pour apporter les réponses adéquates. Le but est d’obtenir la validation finale de cet accord de partenariat, avant la fin de ce mois de mars.

⇒ Comment les régions qui vont présenter, à leur tour, leurs priorités ce mois-ci, inscrivent-elles leurs projets dans ce cadre ?

Jules Nyssen - Régions de France :

Cette inscription s’inscrit dans un travail partenarial que nous menons depuis 2018. Il a pu y avoir des points de divergence, parfois. Parmi les plus sensibles, l’éligibilité des grandes entreprises au Feder pour le financement de projets et opérations en faveur de la transition écologique. Les Régions se sont mobilisées aux côtés de l’ANCT, de la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) pour élaborer cet Accord de partenariat, après analyse de leurs besoins. En parallèle, elles ont aussi entamé la réflexion sur leurs programmes opérationnels en fonction des orientations de l’Accord de partenariat et tout en maintenant un dialogue régulier avec leurs partenaires locaux.

Au final, l’accord de partenariat est véritablement le fruit d’un travail collaboratif avec l’ensemble des régions et les services de l’État. Cette méthode résolument partenariale a facilité la validation du projet d’accord, lors du comité État-Régions du 29 novembre 2021, et l’appropriation complète de ce plan par les autorités de gestion pour la préparation de leurs programmes opérationnels.

Nous attendons désormais la validation de la Commission européenne, qui émettra certainement quelques demandes d’ajustements que chaque région opérera individuellement.

⇒ Sur quoi peuvent porter ces ajustements ?

Ces ajustements peuvent concerner certains points de difficultés et de divergences avec les positionnements de la Commission européenne – comme le point déjà évoqué de l’éligibilité des grandes entreprises aux fonds européens en faveur de la transition écologique –, ou des précisions de nature techniques pour entrer en conformité avec la réglementation de l’UE.

Par ailleurs, l’articulation des fonds de la politique de cohésion avec les plans de relance nationaux est une vraie difficulté et provoque une véritable concurrence entre ces fonds sur les territoires. Des ajustements ont pu être effectués pour équilibrer la répartition.

Pour les programmes opérationnels, c’est l’articulation avec le contrat de plan État-Régions qui a du retard. Mais, il sera résorbé d’ici juin prochain, donc concomitant avec les fonds structurels inclus dans les projets.

Cela impose, parfois, aux régions de recaler la discussion au niveau local. Elles dialoguent avec les porteurs de projets – les départements et les intercommunalités – qui ont connu un gros renouvellement lors des élections de 2020.

Globalement, on peut relever qu’un gros travail a été réalisé pour concilier les positions de tout le monde !

⇒ Quel est le calendrier ?

L’objectif est que l’Accord de partenariat puisse être validé au printemps 2022, afin que les programmes opérationnels, qui constituent les stratégies de financement des Régions, puissent être validés par la Commission européenne à échéance de l’été.

Actuellement, la programmation des fonds React UE est en cours. Ces fonds qui constituent un abondement de la programmation 2014/2020 ont constitué des ressources indispensables pour porter appui et assistance aux citoyens, territoires et entreprises fragilisés par les conséquences de la crise sanitaire.

Les Régions ont une préoccupation forte et partagent l’enjeu politique de lancer rapidement la nouvelle programmation 2021-2027. Il s’agit d’agir vite, après la crise sanitaire, pour soutenir la relance industrielle et le développement dans nos territoires.

Notre souhait est de montrer que cette politique de cohésion économique, sociale et territoriale a du sens pour assurer notre souveraineté industrielle et alimentaire, notamment.

Programmation 2014-2020 ou 2021-2027 : de quoi parle-t-on ?

Les programmations de l’usage des fonds européens sont planifiées pour sept ans. Elles se déroulent selon la règle du N +3. Ainsi, les crédits accordés pour la période 2014-2020 sont actifs jusqu’au 31 décembre 2023. Quant à la programmation 2021-2027, elle durera, de fait, jusqu’en 2030.
Aujourd’hui, en 2022, les Régions et l’État travaillent donc encore sur les fonds 2014-2020, d’autant plus que l’Union européenne les a abondés d’une enveloppe supplémentaire pour aider les États membres à faire face à la crise sanitaire. Pour la France, il s’agit de 4 Md€ en plus.

« Pour 2021 et 2022, toutes les autorités de gestion, régionales et nationales, travaillent à la programmation express de ce fond de relance, dans des projets de territoires, indique Philippe Cichowlaz. De plus, outre ces crédits relance, il reste encore des crédits à consommer 2014-2021, car les projets ont été ralentis par la pandémie. Personne ne s’ennuie, et on ne manque pas d’argent dans les territoires ! Tout cela se lisse sur le temps long ; il n’y a pas d’année blanche. »
Le temps que les Régions déposent leurs programmes complémentaires et que la Commission les valide, la mise en œuvre des projets démarrera entre septembre 2022 et janvier 2023.

Les dépenses des porteurs de projets sont déjà éligibles depuis le 1er janvier 2021. Du moment que leurs projets ne sont pas achevés, leurs dépenses seront prises en compte. Ils seront rattrapés lors des appels à projets. Certaines régions, qui ont des projets importants qui ne peuvent pas attendre, peuvent faire de l’animation en temps masqué.

Accord de partenariat : les principaux axes retenus par la France

Les principales priorités de l’Accord de partenariat présenté par la France suivent le cadre de l’Union européenne. Elles en sont des déclinaisons nationales et régionales négociées avec la Commission. Le cœur du sujet, c’est la recherche d’une Europe « plus intelligente » (Smart Europ) : recherche et développement, innovation, accompagnement du tissu économique des PME-PMI et numérisation. « Il nous reste, en effet, des efforts à faire en matière d’infrastructures, en particulier pour les usages du numérique en essayant de les développer davantage, tant chez les acteurs économiques que sociaux et territoriaux », relève Philippe Cichowlaz, chef du pôle Politique de cohésion européenne, à l’ANCT.
Le deuxième grand volet s'inscrit dans le Pacte vert, décidé par les 27 États membres, qui comporte un volet très important sur le climat. L’enjeu est l’atténuation et l’adaptation au changement climatique. La France doit consacrer au moins 30 % de ces crédits européens à cet objectif, afin de respecter les engagements européens de neutralité climatique, à horizon 2030-2050. D’autres priorités s’insèrent dans ce pacte, comme le respect de la biodiversité et la santé publique.

Il y a aussi le volet social, pour une Europe plus inclusive et plus respectueuse des minorités.

Dans les régions ultrapériphériques, il y a encore de gros efforts d’investissements à faire dans les infrastructures, notamment à Mayotte. « Aujourd’hui, ce département français n’a pas de liaison directe avec l’Hexagone. Les vols s’arrêtent souvent à Nairobi, au Kenya. En matière de développement économique du territoire, c’est une revendication importante. Cela nécessite de faire un aéroport avec une bonne connectivité », précise-t-il.
Enfin, le cinquième volet, qui intéresse tout particulièrement l’ANCT, veut aller vers une Europe plus proche des citoyens. Cela concerne les quartiers urbains en difficultés, en complément de la politique de la ville, à travers le développement urbain durable et intégré, ainsi que les espaces ruraux afin de lutter contre les déserts médicaux, le manque de services à la population ou d’offre en matière numérique, par exemple. Cela fait partie des priorités de l’Union européenne pour aider les territoires à mieux s’intégrer dans l’économie européenne et dans son fonctionnement.

État et Régions, un binôme complémentaire

En France, l’ANCT est la coordinatrice nationale des fonds européens, et les Régions en ont la gestion. Comment ce binôme fonctionne-t-il ? C’est ce que nous expliquent nos deux invités.

⇒ L’ANCT a une expertise et une vue globales sur les fonds européens. Comment aide-t-elle les régions ? Et comment s’exerce son rôle de coordinatrice ?

Philippe Cichowlaz - ANCT :

En tant qu’autorité de coordination pour la France, l’ANCT veille à l’articulation des relations avec la Commission européenne, d’un côté, et les ministères français, de l’autre, lors des prises de position que doit prendre notre État membre sur la politique de cohésion européenne. C’est la partie nationale.

Pour la partie régionale, l’ANCT développe des expertises très pointues dans différents domaines de nature réglementaire, thématique ou informatique qui offrent, en quelque sorte, un service mutualisé aux autorités de gestion, Régions et services de l’État. Cette ingénierie sert, notamment, à décrypter les dispositions liées à l’usage des fonds européens, à interpréter les règles sur les aides d’État (par exemple, aux entreprises) ou les marchés publics.

Nous fournissons aussi un accompagnement stratégique des programmes : mobilisation des priorités thématiques (environnement, innovation…), ingénierie financière, évaluation… Le but est d’aider les Régions à mettre en place ces dispositifs.

Nous développons aussi un système d’information dématérialisé, partagé avec elles, pour instruire les dossiers et gérer les fonds européens, ainsi qu’une assistance technique pour former les référents Europe dans les régions et financer des études.

Par ailleurs, l’ANCT accompagne les programmes de coopération territoriale, qui concernent beaucoup de territoires transfrontaliers, en France.

Tous ces métiers-là, toutes ces expertises ne pourraient pas être démultipliées dans les 18 régions. C’est pour cela que nous mutualisons ces savoir-faire avec ces collectivités qui disposent, de leur côté, d’équipes dédiées aux projets financés par l’Europe dans leur territoire.

L’ensemble de ces missions génèrent 14 groupes de travail en commun avec les autorités de gestion, et des allers-retours continus entre les Régions et nous, pour expliquer, partager et accompagner.

⇒ De votre côté, comment votre association intervient-elle pour épauler les régions ?

Jules Nyssen - Régions de France :

En France, la gestion des fonds européens incombe à chacune des régions depuis 2014, et nous sommes très attachés à ce principe.

Au sein de Régions de France, nous avons une équipe dédiée aux questions européennes. Elle est financée par les fonds UE au titre de l’assistance technique aux programmes européens. Sa constitution a été rendue possible par l’ANCT, d’ailleurs.

Cette équipe travaille avec toutes les régions sur les fonds structurels, les alimente en information et fait remonter leurs besoins et problématiques, quand une réponse nationale ou européenne est nécessaire.

En outre, depuis septembre dernier, Régions de France dispose d’une représentation officielle à Bruxelles. Cela lui permet de faire entendre la voix des territoires et d’échanger directement, sans intermédiaire, avec les instances européennes.

Notre association a également un conseiller cohésion/aménagement du territoire et un conseiller emploi, qui interviennent sur le FSE.

Au niveau politique, sous la responsabilité de Carole Delga, présidente de Régions de France, c’est le président délégué, Renaud Muselier, qui est aussi le président de la commission Europe et International. Son appui et son engagement, ainsi que ceux des élus membres de cette commission, sont un atout de taille pour faire atterrir les échanges et négociations politiques, notamment avec le ministère en charge de la Cohésion des territoires. Cette organisation témoigne de l’importance politique du sujet pour les régions. Et elle exprime un travail collaboratif.

⇒ Que représente cette relation avec Régions de France pour l’Agence ?

Philippe Cichowlaz - ANCT :

Régions de France est une actrice essentielle pour que tout cela fonctionne bien. Parfois, il y a besoin d’arbitrages entre les 18 régions pour apporter leur contribution au débat national et européen, notamment lors des négociations. Il faut trouver des points d’accord pour aboutir à une décision commune.

Je vais vous donner un exemple très concret. La France a l’obligation de mettre 30 % des fonds européens sur le climat dans ses programmes opérationnels. Pour le moment, nous sommes à 28 %, et il va bien falloir trouver des solutions pour atteindre cet objectif.

Dans ce type de situation, l’intervention de Régions de France est précieuse et très utile. Cette association d’élus intervient quand le niveau technique est arrivé au bout de ce qu’il peut faire ; elle prend alors le relais pour faire aboutir les discussions à une prise de décision.

Dès que ça prend une dimension plus politique, Régions de France permet d’obtenir des consensus de manière beaucoup plus aisée, auprès des présidents de Régions et de leurs directeurs généraux des services, que si c’était l’État qui animait cette négociation.

Par ailleurs, en plus de nos relations bilatérales avec chacune des collectivités territoriales, Régions de France nous remonte aussi des informations. Elle structure ainsi le dialogue autour des questions ou problèmes que rencontrent les autorités de gestion régionales.

⇒ Comment l’ANCT épaule-t-elle Régions de France dans cette démarche ?

Jules Nyssen - Régions de France :

Quand le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) est devenu l’ANCT, en 2020, nous avons éprouvé un peu d’inquiétude. Mais, les équipes qui sont nos interlocutrices sont restées les mêmes, ce qui nous a rassurés. Nous avons donc une longue relation de coopération avec elles.

En cas de divergence, l’ANCT essaie toujours d’obtenir les bons arbitrages, y compris avec le secrétariat d’État aux Affaires européennes. Nous avons ainsi noué une relation de qualité car ces politiques de cohésion s’élaborent de manière institutionnelle, partenariale au sein d’un comité État-Région, une instance collégiale et partenariale. Cela oblige toutes les parties prenantes à s’entendre pour avancer.

D’ailleurs, Régions de France plaide pour que ce modèle de gouvernance soit dupliqué dans d’autres domaines, car il a fait les preuves de son efficacité.

⇒ Ce partenariat est un atout pour la France, apparemment…

Philippe Cichowlaz - ANCT :

Ce partenariat fonctionne en bonne intelligence et en bonne complémentarité. Et c’est primordial, car il en va de l’intérêt collectif. Nous espérons réussir de même la programmation qui vient, y compris dans ses phases les plus sensibles, pour assurer une bonne utilisation des fonds européens dédiés à la France. Pour 2021-2027, il s’agit de 17 milliards d’euros.

On saisit tout l’intérêt partagé à ce que cela fonctionne bien, et la nécessité de ne pas faire l’économie de la négociation et de la coordination !

En vidéo

La France, qui préside l’Union européenne jusqu’à la fin juin 2022, a réuni les ministres des 27 États membres chargés de la politique de cohésion économique, sociale et territoriale de l'Union européenne, le 1er mars dernier, à Rouen. Cette politique de cohésion représente le premier budget de l’Union européenne : 392 milliards d’euros pour 242 régions.

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