Interview

« La réindustrialisation viendra en grande partie des actions des entreprises et des élus »

Louis Gallois

À la tête de la SNCF et de PSA notamment, Louis Gallois a été un « grand patron » qui a marqué le monde économique. Aujourd’hui, il co-préside La Fabrique de l’industrie, un laboratoire d’idées qui réfléchit à la réindustrialisation de la France. Ce think tank vient de publier une note sur cette ambition, fruit du travail de l’Observatoire des territoires d’industrie auquel contribue l’ANCT. Il revient sur ses principaux enseignements et partage sa vision du programme Territoires d'industrie que copilote l’Agence.

Dans ce contexte de crise sanitaire et économique, comment analysez-vous la situation de l'industrie française et les enjeux principaux cette année et l’année prochaine ?

L’industrie française souffre de la crise comme le reste de l’économie. La crise a mis un coup d’arrêt aux progrès observés ces dernières années en matière de réindustrialisation mais cet arrêt n’est que temporaire : il faut continuer à mettre l’industrie au cœur de la politique économique de la France car l’industrie est une condition de la résistance d’un pays aux crises et du développement des technologies et de l’innovation. C’est elle qui crée les nouveaux produits. N’oublions pas que pour un emploi industriel créé, trois ou quatre emplois dans les secteurs non industriels sont créés. L’enjeu est de penser l’industrie de demain ; elle doit permettre de soutenir la souveraineté de la France et de développer les activités qui soient compatibles à la fois avec l’accroissement de la compétitivité de la France et la réalisation des objectifs de développement durable : lutte contre les déchets et les gaspillages, promotion du bas carbone. Un autre enjeu réside dans la promotion d’une « industrie pour tous » : en particulier, il s’agit d’avoir un discours positif sur l’industrie auprès des jeunes et des territoires, ce qui est par ailleurs une des raisons d’être de La Fabrique de l’industrie.

La Fabrique de l’industrie a rendu publique en mai une note « ces territoires qui cherchent à se réindustrialiser », fruit du travail de l’observatoire des territoires d’industrie. Quelles sont les grandes conclusions que vous tirez ?

Un des principaux enseignements de la Note est que la réindustrialisation des territoires est possible. Nous voyons qu’il y a des territoires qui sont dynamiques, à l’image de la Vendée, de Saint-Nazaire ou du nord Franche-Comté ; même dans les régions qui souffrent, il y a des initiatives locales en faveur de l’industrie.

Le ressort principal de ce dynamisme vient des territoires eux-mêmes : les conditions objectives de la revitalisation industrielle des territoires existent mais ne sont pas dominantes. Ce qui importe, c’est la capacité des acteurs locaux – élus, industriels, écoles de formation – à travailler ensemble et à partager une vision commune. J’ajouterais que la capacité d’un territoire à créer une image qui soit attractive est primordiale. Certes il est plus facile de le faire quand on est situé au bord de la mer ; pour autant, une image n’est pas irréversible et en travaillant dessus, un territoire peut la changer. L’exemple de la Mecanic Vallée de Figeac à Decazeville est frappant à cet égard.

Enfin, un dernier enseignement concerne les conditions d’efficacité de l’action publique. Cette dernière ne peut fonctionner qu’en appui des dynamiques locales ; si ces dynamiques n’existent pas, on arrose le sable. Sans la présence d’acteurs locaux qui prennent en main les projets industriels et qui travaillent ensemble, l’action publique ne sera pas suffisante.

Découvrir la note « Ces territoires qui cherchent à se réindustrialiser »

Quelle est votre vision du programme « Territoires d'industrie » depuis son lancement fin 2018, et les facteurs garants du succès de la démarche ? Auriez-vous des pistes d’évolution à proposer ?

Parce que le programme Territoires d’industrie s’appuie sur les initiatives des territoires, il constitue une démarche intéressante et mérite qu’on lui donne plus d’ampleur. Au regard du nombre de projets déposés (1 700), on voit qu’il a suscité un intérêt marqué. L’aide apportée par le programme cible les projets que les territoires sont capables de mettre en œuvre ; en cela, il est cohérent avec l’idée que l’industrie ne se crée pas à partir de rien. Il est primordial d’expliquer aux entreprises et aux élus que la réindustrialisation viendra en grande partie de leurs actions.

L’enjeu de simplification des procédures présente dans le dispositif est particulièrement important : alors qu’il faut deux ans en France pour implanter un nouveau site industriel, il faut seulement 6 mois en moyenne en Allemagne. La question de l’attractivité des territoires, également au cœur du programme, est tout aussi importante dans l’optique de faire venir des travailleurs et leur famille. L’accès à une bonne qualité de vie pèse lourd dans le choix des implantations des firmes multinationales.

De manière plus générale, l’action de l’État et des Régions peut aider à réinventer l’aménagement des territoires dans le but de créer un écosystème favorable à l’industrie. Je pense notamment au déploiement d’infrastructures routières ou numériques. Aujourd’hui, le très haut débit est surtout présent dans les grandes métropoles ; c’est une difficulté grave pour certains territoires. La présence de structures de formation, du CFA aux universités, dans les villes moyennes est essentielle pour disposer de compétences sur son territoire et pour favoriser la capacité de dialogue des industriels. La disponibilité de services publics, de maternités, de médecins ou de guichets SNCF et postaux mais aussi du foncier sont autant d’éléments qui favorisent le développement d’un écosystème favorable à l’industrie. On parle beaucoup des friches industrielles dans le contexte de la réalisation de l’objectif de zéro artificialisation nette des sols mais encore faut-il que les villes en soient dotées. À cela, j’ajouterais l’importance de veiller à ce que les nouvelles réglementations environnementales n’aient pas comme premier effet de paralyser les nouvelles implantations industrielles. 

Pour en savoir plus sur les travaux de l’Observatoire des Territoires d'industrie

Parcours

Diplômé de l’Ecole des hautes études commerciales et de l’Ecole nationale d’administration (promotion Charles de Gaulle), après une carrière dans l’administration publique, Louis Gallois devient successivement PDG de la Snecma (1989), d’Aérospatiale (1992), président de la SNCF (1996), président exécutif d’EADS N.V. (2007) et président du conseil de surveillance de PSA (2014-2021). Il est co-président de La Fabrique de l’industrie depuis sa création en 2011.

 

© EADS/Nicolas Gouh

 

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